History Reviews

L’empire qui ne veut pas mourir (French review)

Find here the review in English. This French reading was translated by Véronique Abrahim (IG @the_ushindi, Twitter @Ushindi_Hekima, and Facebook https://www.facebook.com/U.Hekima).

L’empire qui ne veut pas mourir – Une histoire de la Françafrique est un livre monumental de 1008 pages écrit en français sur la relation criminelle et incestueuse que la France entretient depuis longtemps avec le continent africain.

Sous la direction, la supervision et la coordination de Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe, vingt-deux autres militant.e.s, journalistes, économistes et chercheurs/chercheuses ont contribué à exposer davantage la vérité derrière l’occupation française, le colonialisme, l’impérialisme et le néocolonialisme.

Le livre est divisé en six parties principales :

1.       La Françafrique en germe (1940 – 1957)

2.       Des indépendances piégées (1957 – 1969)

3.       La folie des grandeurs (1969 – 1981)

4.       La fausse alternance (1981 – 1995)

5.       Dévoilement et camouflages (1995 – 2010)

6.       Le temps de la “reconquête” (2010 – 2021)

En s’appuyant sur un grand nombre de sources et avec une précision chirurgicale, les auteurs dissèquent le rôle que la France a joué directement et indirectement dans l’assassinat des peuples africains, le pillage et le vol des ressources naturelles, les coups d’État orchestrés depuis l’Élysée, les assassinats politiques, l’instigation de guerres civiles et l’ingérence dans des pays qui ne sont pas historiquement sous la juridiction coloniale française (le Nigéria pendant la guerre du Biafra ou le génocide des Tutsis au Rwanda), le rôle d’organisations caritatives telles que Médecins sans frontières, la Croix-Rouge et Caritas dans la contrebande d’armes vers des pays déchirés par la guerre (le représentant de la Croix-Rouge au Gabon était le conseiller militaire de l’ambassade de France dans le pays), la langue en tant que mécanisme de soft power (puissance douce) destiné à créer et à approfondir des relations intimes qui ont des conséquences militaires, économiques et politiques.

L’origine du terme Françafrique, sa conception et son développement sont entachés d’incertitude. De nos jours, le consensus général est de considérer la Françafrique comme un réseau plus ou moins occulte dans lequel la France vise à conserver ses anciens domaines à tout prix. Ce n’est pas un hasard si, au fur et à mesure que la réalité infâme qu’est la Françafrique s’est fait connaître, les sommets “France-Afrique” ont été rebaptisés “Afrique-France” pour se débarrasser de toute connotation négative. 

C’est une toile malléable, capable de se réformer pour s’adapter aux réalités actuelles qui a utilisé les esprits colonisés d’individus tels les présidents ivoirien Houphouët-Boigny et sénégalais Senghor pour continuer à exploiter l’Afrique.

“C’est l’élite politique française et africaine contre le peuple”

Loin d’être victimes des circonstances, des présidents africains (dictateurs) ont également tiré parti de leur pouvoir pour contrôler Paris. En période électorale, les successeurs d’Houphouët et de Senghor et les chefs d’État comme le Gabon et le Congo-Brazzaville sont connus pour faire des dons de millions de dollars à des partis politiques français amis et à des candidats à la présidence qui leur retourneront des faveurs. C’est l’élite politique française et africaine contre le peuple. 

Le chapitre 7 de la cinquième partie nous rappelle le pouvoir qu’ont les médias de modeler, façonner et créer la réalité, ainsi que d’influencer fortement l’opinion publique, de la préparer à un changement imminent (comme la diabolisation du président révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara avant son assassinat) et de perpétuer les clichés coloniaux. Comme l’a enseigné Malcolm X, “si vous ne faites pas attention, les journaux vous feront détester le peuple qui est opprimé et aimer le peuple qui opprime”. Les médias français se sont rarement rangés du côté de la vérité et ont souvent été manipulés par les pouvoirs en place pour créer un récit en leur faveur.

Ce livre, publié pour la première fois en 2021, est un récit nécessaire, essentiel, détaillé et bouleversant de la brutalité, du mal, de la misère, de la tromperie et des crimes contre l’Homme et la nature que la France a commis contre toutes ses colonies, en particulier en Afrique, et plus particulièrement au Sahel, en Afrique du Nord, de l’Ouest et en Afrique centrale.

Si tous les chemins mènent à Rome, toutes les explications et raisons du sous-développement africain, des troubles nationaux, de l’insécurité mènent au 2 rue de l’Elysée et à Matignon”

Nous voyons comment la France a, parfois de façon peu subtile, changé le cours de l’histoire de l’Afrique et du monde. Et comment elle est passée d’une occupation militaire pure et dure au colonialisme comme entreprise commerciale où des entrepreneurs et des sociétés privées contrôlent la terre, la mer et les ressources au profit de la métropole.

En tant que linguiste, j’aurais aimé voir davantage d’exemples pratiques sur la façon dont la langue française est poussée et utilisée comme un mécanisme de soft power. L’existence des “Jeux de la Francophonie” et d’une semaine en l’honneur de cette langue (considérée comme une langue d’amour et de romance par certains, alors que pour d’autres elle représente la mort et la misère) montre l’acharnement de la France à maintenir ses anciens sujets dans l’admiration de la langue de Molière tout en intériorisant un complexe d’infériorité à l’égard de nos langues africaines.

Si tous les chemins mènent à Rome, toutes les explications et les raisons du sous-développement africain, des troubles nationaux et de l’insécurité mènent au 2 rue de l’Elysée et à Matignon (résidences du président et du premier ministre français).

Nous nous souvenons de la bravoure des icônes révolutionnaires, des journalistes intrépides comme Norbert Zongo du Burkina Faso, des militant.e.s courageux.euses, des présidents audacieux qui ont osé dire “non” et des personnes vaillantes qui se sont battues et ont résisté avec tout ce qu’elles avaient. Que leur combat ne soit pas vain, que nous nous souvenions de leurs noms, de leur sacrifice en quête de liberté et de libération.

Le colonialisme est toujours vécu avec des points de vue diamétralement opposés : l’oppresseur ment et utilise différents outils pour falsifier l’histoire, mettre en avant les avantages supposés de l’occupation et l’intention noble et éclairée d’élever les peuples conquis au rang d’hommes. L’opprimé, au contraire, chante sa douleur inimaginable, la perte humaine, spirituelle et matérielle, l’impossibilité de savoir ce qui aurait pu être. Car, en dehors du vol actuel et tangible, comme le soulignait Aimé Césaire, nous avons aussi perdu du potentiel.

Il n’y a probablement qu’une seule vérité que tous les humains partagent et sur laquelle ils sont d’accord : tout ce qui naît doit mourir. L’Empire qui ne veut pas mourir s’inclinera un jour et succombera à la mort.


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